Cyber_Folks et Sylius rachètent PrestaShop : vers une stack e-commerce européenne capable de rivaliser avec Shopify

Ce n’est pas tous les jours qu’un mouvement de plaques tectoniques secoue le paysage du e-commerce.
Le rachat de PrestaShop par le groupe polonais cyber_Folks, en partenariat avec Sylius, entre clairement dans cette catégorie : une opération industrielle, mais aussi un symbole fort pour tous ceux qui rêvent d’une alternative européenne solide face aux géants nord-américains comme Shopify.

Derrière l’annonce, il y a un enjeu très simple : bâtir une stack e-commerce européenne complète, couvrant aussi bien les petits marchands que les projets Enterprise les plus complexes. Sur le papier, l’ambition est énorme. Dans la pratique, les chiffres donnent une idée de l’ampleur du projet.

Question simple qu’un marchand pourrait se poser : est-ce que cela change vraiment quelque chose pour moi ?

Spoiler : oui. Et plus vite qu’on ne le pense

Un rachat qui propulse l’Europe dans la « première division » du e-commerce

Des chiffres qui installent un nouveau poids lourd

Concrètement, le groupe cyber_Folks et Sylius ont signé un accord pour acquérir PrestaShop, l’une des plus grandes plateformes e-commerce open source au monde. PrestaShop alimente environ 230 000 boutiques actives à l’échelle mondiale, qui auraient généré près de 22 milliards d’euros de GMV en 2024. Sylius, de son côté, se concentre sur des projets plus complexes (mid-market et Enterprise) pour un volume de ventes estimé à environ 7 milliards d’euros par an.

Une fois ces deux plateformes intégrées dans l’écosystème cyber_Folks, on parle d’un GMV cumulé d’environ 35 milliards d’euros.

Dit autrement : l’Europe dispose désormais d’un acteur capable de se positionner sur une échelle comparable à celle de Shopify en termes de volume traité, avec un ADN technologique largement open source et européen.

Ce n’est plus « un CMS français sympa », ni « un framework e-commerce élégant venu de Pologne ». C’est un bloc consolidé, capable de peser dans les discussions quand une marque internationale réfléchit à son futur socle digital.

PrestaShop, Sylius, Shoper : trois briques, une seule vision

L’un des points clés de l’opération tient dans la complémentarité des technologies.
Le groupe construit une véritable échelle de solutions :

Shoper : une plateforme SaaS pour les petites structures qui veulent aller vite, sans équipe technique ni intégrateur lourd.
PrestaShop : un CMS open source puissant, idéal pour les marchands en phase de croissance, avec un écosystème massif de modules et d’agences.
Sylius : un framework headless et composable, taillé pour les architectures sur-mesure, multi-pays, multi-canal, avec intégrations complexes et exigences Enterprise.

En combinant ces trois briques, cyber_Folks promet une sorte “d’escalier produit” où un marchand peut monter marche après marche, sans changer complètement d’univers technologique à chaque pivot de croissance.

Un écosystème 100 % européen, du micro-marchand à l’Enterprise

Accompagner chaque étape de maturité

Ce qui est intéressant, ce n’est pas seulement la taille de l’ensemble, mais la continuité du parcours marchand.

Un exemple très concret :

– Vous lancez votre marque en ligne avec peu de moyens ? Shoper vous permet de démarrer vite.
– Votre catalogue grossit, vos besoins marketing se raffinent, vous avez besoin de modules spécifiques ? PrestaShop prend le relais, avec ses milliers d’extensions et un réseau d’agences bien installées.
– Votre marque devient internationale, avec plusieurs entrepôts, des flux B2B, des marketplaces, du prix dynamique, des APIs partout ? Sylius devient votre socle headless, branché sur vos services métier, votre PIM, votre ERP, vos frontends sur-mesure.

Ce continuum n’existait pas vraiment, ou alors de manière bricolée, côté solutions européennes.
On se retrouvait souvent avec un empilement de plateformes hétérogènes : un SaaS d’un côté, un CMS modifié de l’autre, quelques micro-services maison… et beaucoup de dette technique.

Une couverture géographique déjà très solide

L’autre point fort de l’opération, souvent négligé dans les communiqués, c’est la répartition géographique des utilisateurs.

PrestaShop est particulièrement fort en France, Espagne, Italie, Royaume-Uni et États-Unis.
Sylius, lui, est déjà bien implanté en France, Italie, Pologne, Allemagne et aux États-Unis.
En additionnant ces bases installées, le groupe couvre un arc Europe de l’Ouest / Europe centrale / Amérique du Nord très cohérent, avec un biais naturel en faveur du marché européen.

Si vous êtes une marque française qui vend en Allemagne et aux États-Unis, vous êtes littéralement au croisement des zones de force de ces plateformes.

On sent bien la logique : consolider des positions déjà fortes, plutôt que se disperser.

Face à Shopify : enfin une stack e-commerce européenne crédible

Un contre-poids européen aux géants nord-américains

Shopify reste aujourd’hui l’une des grandes références du SaaS e-commerce mondial, avec un siège au Canada et une présence massive, notamment en Amérique du Nord.

Mais l’opération cyber_Folks / Sylius / PrestaShop change l’équation : pour la première fois, un groupe technologique issu d’Europe revendique un niveau de GMV et une profondeur d’offre qui le placent dans la même conversation.

Le message est clair : l’Europe gagne un acteur comparable à Shopify en termes de taille de marché adressé, avec à la clé un écosystème fortement ancré dans les standards open source et le tissu d’agences locales. Pour un décideur e-commerce, cela rebat les cartes : on n’est plus obligé d’arbitrer entre « solution européenne, mais limitée » et « solution nord-américaine, mais dominante ».

Et dans un contexte de souveraineté numérique, de protection des données et de réglementations européennes de plus en plus exigeantes, pouvoir s’appuyer sur un ensemble techno conçu et opéré depuis l’UE n’est pas un détail.

Open source, headless, composable : une réponse très actuelle

Sur le plan architectural, la combinaison PrestaShop + Sylius répond aux grandes tendances actuelles :

Open source : contrôle du code, possibilité d’audit, contributions communautaires, indépendance vis-à-vis d’un éditeur unique.
Headless et API-first (côté Sylius) : idéal pour brancher des frontends modernes (Next.js, Nuxt, SPA, PWA, apps mobiles), des marketplaces, des applications métiers.
Composable commerce : on assemble la stack comme un puzzle, en piochant les meilleurs outils pour chaque brique (paiement, recherche, OMS, CDP, etc.), plutôt que d’accepter un monolithe « tout-en-un »
parfois rigide.

En face, Shopify fait de gros progrès sur l’extensibilité et les APIs, mais reste un environnement propriétaire,
avec des limites pratiques dès que les cas d’usage deviennent très spécifiques ou très « enterprise ».

Synergies, cross-sell et IA : la feuille de route cachée

Un gigantesque terrain de jeu pour le cross-sell

L’acquisition de PrestaShop et l’intégration de Sylius ne servent pas qu’à afficher un joli GMV global. Le groupe insiste aussi sur le potentiel de cross-sell et d’upsell à l’intérieur de son écosystème.

Grâce à des intégrations avec des solutions comme Apilo ou Sellintegro, les boutiques connectées à PrestaShop ou Sylius pourront plus facilement se brancher à des marketplaces, des ERP, des transporteurs ou des outils marketing.
C’est exactement ce que cherchent aujourd’hui les marchands : moins de friction entre les briques, plus d’automatisation, moins de temps perdu dans les connecteurs approximatifs.

Autre levier : la présence, dans le même groupe, d’une plateforme de communication comme Vercom (email, SMS, marketing automation) ou encore l’acquisition de MailerLite. Ensemble, ces outils permettent d’imaginer des scénarios de monétisation globale : une boutique PrestaShop ou Sylius peut consommer nativement des services de messaging, d’IA, de personnalisation, sans changer de fournisseur.

Vers une nouvelle génération de solutions e-commerce basées sur l’IA

Le groupe évoque aussi la construction d’une infrastructure capable de porter une nouvelle génération de solutions e-commerce fondées sur l’IA.


Rien de très détaillé pour l’instant, mais on devine facilement les pistes :

– recommandations produits et merchandising pilotés par l’IA ;
– automatisation avancée des campagnes marketing et des scénarios CRM ;
– optimisation de prix, de stocks et de logistique ;
– génération assistée de contenu (fiches produits, emails, SEO…).

L’idée n’est pas seulement de « posséder » les plateformes, mais d’injecter de la valeur supplémentaire au-dessus, en profitant d’un socle unifié.

Et pour les marchands, on fait quoi demain matin ?

Pas de panique : il ne s’agit pas d’un big bang

Soyons clairs : ce rachat ne signifie pas que vous devez migrer votre boutique dès demain matin.
Les shops PrestaShop existants ne vont pas cesser de fonctionner, les agences spécialisées ne vont pas disparaître, les roadmap ne vont pas être réécrites en une nuit.

En revanche, si vous êtes :

– un marchand en croissance qui commence à sentir les limites de son installation actuelle ;
– une marque ambitieuse qui réfléchit à un socle plus modulaire ;
– une agence digitale qui veut se positionner sur des projets composable commerce ;

… alors cette opération mérite clairement d’entrer dans votre radar stratégique.

Parce qu’elle dessine un futur où l’on peut rester dans un univers technologique européen, tout en visant des standards de performance et de scalabilité dignes des plus grands.

Quelques scénarios très concrets

On peut imaginer, par exemple :

– une DNVB française qui démarre rapidement sur un SaaS type Shoper, puis bascule sur PrestaShop pour gagner en flexibilité, avant de passer sur Sylius quand elle ouvre plusieurs entrepôts et une activité B2B ;
– un groupe industriel qui lance plusieurs marques verticales en front, avec un back-office unifié basé sur Sylius, tout en réutilisant l’écosystème PrestaShop pour certains marchés moins complexes ;
– une marketplace sectorielle qui s’appuie sur Sylius en cœur de plateforme, tout en profitant du réseau d’agences PrestaShop pour l’acquisition et l’accompagnement des marchands.

Dans chacun de ces cas, l’existence d’un acteur européen intégré change l’équation : on parle moins de “patchwork” et plus de trajectoire.

Un signal fort pour la souveraineté numérique européenne

Au-delà des aspects techniques, il y a aussi un message politique au sens large.
Le groupe met en avant la valeur de ses équipes, la dimension humaine de la transaction et la volonté de s’appuyer sur les talents déjà présents chez PrestaShop et Sylius, qui resteront impliqués dans le développement des plateformes.

On peut y voir une forme de maturité : l’Europe ne se contente plus de créer des solutions open source brillantes mais isolées ; elle commence à les agréger, à les industrialiser, à les porter sur une scène globale.

Est-ce que ce sera suffisant pour réellement contester la domination de Shopify à l’international ? Personne ne peut le garantir aujourd’hui. Mais pour la première fois depuis longtemps, les marchands européens disposent d’une perspective crédible de stack e-commerce “made in Europe”, capable de tenir la comparaison, techniquement comme stratégiquement.

Et rien que pour ça, cette opération mérite que l’on s’y attarde sérieusement dans les mois à venir.

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